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Le combat ordinaire
25 janvier 2006

Razzye se fait refaire le portrait

razzyeOn l'attendait, et voilà, c'est fait!

Razzye Hammadi, président du MJS, élu au congrès de Paris en décembre dernier, a eu son portrait dans Libération daté d'hier (mercredi 25 janvier 2006).

"Sa mère lui dit souvent: «Je me suis battue pour que tu fasses des études. Et à la télé, on ne parle que du beur militant contre l'extrême droite ou du beur du MJS...» En bon fils, devenu chef de famille à 15 ans après le décès de son père, Razzye Hammadi demande une faveur qu'on accorde volontiers à cet aîné attentif à exaucer les voeux d'une maman longtemps saignée aux quatre veines mais très positivante dans la débine. Tutoyeur automatique, il lance: «Parle de mon 3e cycle, ça lui fera plaisir!» Le parcours méritocrate et républicain de ce néokeynésien s'est donc brillamment conclu par un mémoire d'économie intitulé : «L'harmonisation des systèmes de protection sociale en Europe». Voilà qui est fait !

     Pour «s'extraire de sa condition», pour «échapper au déterminisme», pour glaner des diplômes mais surtout pour conquérir le poste de président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), ce Toulonnais, fils d'un Algérien et d'une Tunisienne, a tanné le cuir de bien des vaches enragées. Son père avait monté une petite entreprise de fruits et légumes. Il y avait une quinzaine de salariés. Puis ça a périclité. Puis ça a fait faillite. Puis, la maladie, la mort. Sa mère, alors, empoigne la fatalité par le revers et affirme à ses deux fils, qui en feront leur devise: «Il est possible de changer les choses.» Pour que les déménagements cessent de s'enchaîner vers des cités de plus en plus patibulaires, elle se fait femme de ménage. Razzye, encore lycéen, travaille après les cours. Le soir au McDo, la nuit sur les marchés où parfois l'embauchent les anciens concurrents de son père. Il finit par obtenir une bourse, puis un poste de surveillant. «500 euros mensuels, c'était le bonheur.» Actuellement, permanent du MJS, il émarge à 1000 euros, «c'est déjà un privilège», et se promet de se remettre à sa thèse. Cette même année noire, l'année de ses 15 ans, le FN prend la mairie de Toulon. Razzye Hammadi se souvient de ce «sentiment de colère» qui le submergeait et dont il ne savait que faire. L'éternel délégué de classe n'a pas dévissé. L'abonné à la prise de parole a tissé serré la chaîne et la trame des études et du militantisme, dans une suractivité qui est la force de ce jeune âge quand le dégoût de tout en est l'ombre jumelle.

     Hammadi arrive en charge quand le pays se soucie de discrimination positive et quand le PS peine à organiser en son sein l'égalité des chances. Coup monté? Pas vraiment. La maturation des prétendants ne peut être indexée sur les soubresauts de l'actualité. Benoît Hamon, député européen PS et grand ancien du MJS: «Cela ressemble à un effet d'aubaine, mais cela n'a rien à voir avec le contexte. Razzye a été choisi car il était le meilleur, qu'il était têtu, tenace, qu'il s'imposait naturellement.» Hammadi a fait ses classes au bureau national du MJS. Il s'est occupé d'économie et d'international. Pas d'immigration ou de politique de la ville. Surtout, il a la réputation d'être un commercial ultrapersuasif, de pouvoir «faire adhérer qui il veut en cinq minutes» (un proche). Il renchérit d'un: «La force de notre génération, c'est d'être aussi à l'aise dans les cages d'escalier que dans un débat sur le budget européen.» Et puis il a 26 ans, juste le temps d'accomplir un mandat de 2 ans avant de devoir passer chez les grands. Pour le reste, il dit souvent: «Je suis un militant socialiste, point. Je ne suis pas un socialiste rebeu.» Et, il ajoute: «Je suis contre toutes les discriminations, même quand elles sont positives.» Par chance, il est trop jeune pour avoir vécu le dilemme de certains beurs du PS, rétifs comme lui à la logique des quotas, mais soucieux d'une reconnaissance qui ne vient pas. Et il se tient à distance de Malek Boutih, l'ancien de SOS Racisme, seul deuxième génération visible au PS, qui énerve par ses propositions transgressives. Il dit: «Avec Malek, on se croise. On parle PlayStation. Ça ne va pas plus loin.» Sinon, ce laïque strict refuse de parler de religion: «Cela relève de la sphère de l'intime.» Et cet amoureux respectueux et rosissant évoque une paternité future en lançant: «Il aura les deux prénoms. Pourquoi je l'appellerais Jean?»

     Le PS est un parti masculin, blanc et vieillissant, où s'affrontent pour la candidature suprême des énarques cinquantenaires venus à la chose publique via les groupes d'experts ou les cabinets ministériels. Quelques filières militantes fournissent malgré tout des cadres de 35-50 ans à l'avenir moins établi. Cela vient par le syndicalisme étudiant (FIDL, Unef-Id), l'antiracisme (SOS, Ni putes, ni soumises) et aussi ce mouvement de jeunesse officiel qu'est le MJS avec ses 6000 adhérents. Pourtant, peu d'ex-présidents du MJS ont rejoint les hautes sphères. Deux raisons: 1. Le MJS n'est plus assujetti à la direction du parti et fricote avec un courant, l'ex-NPS de Montebourg-Peillon. 2. Le renouvellement est difficile au sein du PS. Priorité aux femmes paritaires. Viendront ensuite les beurs. Quant aux jeunes, les pauvres... Razzye Hammadi s'évite les plans de carrière sur la comète. Monsieur le nouveau président joue la synthèse, marie les deux gauches, choisit «Mendès pour le fond et Mitterrand pour la stratégie», et oublie qu'il penchait plutôt pour le non des internationalistes. Le temps n'est plus aux ruminations, quand il va connaître son baptême du feu avec la mobilisation contre le CPE. Alors, quand il dit: «Jamais une société n'a aussi peu pensé à sa jeunesse», ce n'est pas à son parti qu'il songe.

     Côté jeune, Razzye donne les gages technoïdes que son temps réclame et qu'il marie avec les rêves partageurs de ses convictions. Il est ravi de son Blackberry, reconnaît télécharger mais propose, afin de zapper les majors sans torpiller les droits d'auteurs, que les artistes se regroupent en «coopératives numériques de diffusion». Avide de savoir, c'est aussi un utilitariste qui, pour ses discours, glane des citations chez Camus, Pablo Neruda ou Fred Uhlman. Très marieur d'antagonismes, comme s'il lui fallait rapprocher l'Algérie secrète et silencieuse de son père et la Tunisie chaleureuse de sa mère, il fait coexister dans sa galaxie Sartre et Aron, ou les essais de Serge Halimi et d'Hervé Hamon qui se chevauchent sur sa table basse. Quand il va au ciné, il ne se polarise pas sur Spike Lee «et sa quête identitaire», il apprécie le Barry Lindon de Kubrik, le Rocco et ses frères de Visconti, et le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone. Dans lequel il ne peut s'empêcher de voir «la mise en cause des westerns à la John Wayne».

Il réside près de Paris, dans une banlieue tranquille, loin de la cité sudiste où, quand cet antiautoritaire a rejoint le PS, ses voisins passaient du «Combien ils te payent?» à «Qu'est-ce que tu peux faire pour moi ?» Il vit dans un trois pièces avec deux colocataires. Parmi lesquels son petit frère, 21 ans, qu'en protecteur comblé il présente comme un DJ reconnu, «vice-champion du monde de scratch», «mixant pour Fréquence Gay». Il est assis sur le canapé-lit. Aux murs, Einstein, une pub Banania, un tableau gag. Il est en marinière bleu roi sur un tee-shirt vert pomme, en chaussettes de tennis dans des chaussons noirs. Il garde un enrobé de bon aloi, celui des rencontreurs, des discuteurs. Il paraît pourtant qu'il a maigri. Hamon: «Je l'ai connu beaucoup plus rond. Il devait encore habiter chez sa mère.» Il arbore ces grands cernes bistre de ceux qui veillent tard, lisent beaucoup, et fument trop. Mais, promis, on n'en dira rien à sa maman. "  LE VAILLANT Luc      

-Libération-

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